Peut-on parler sans accent ? L’« accent zéro » décrypté - Yesmag
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Peut-on parler sans accent ?

Peut-on ne pas avoir d'accent ? Le problème de l'accentisme

Peut-on parler sans accent ?

Lorsqu’on entend quelqu’un nous dire que l’on sait « parler sans accent » une langue étrangère, c’est bien flatteur, et on est content. Il est tout de même plus gênant d’entendre des remarques du type « Il est fort quand même ton accent ! » ou bien « Ah, bah ça s’entend que tu viens de… ». Voire très accablant lorsque notre accent devient un facteur discriminatoire.

Qu’est-ce qu’un accent ?

Les études en phonologie et sociolinguistique suggèrent que l’accent est une forme spécifique de prononciation dont on perçoit la différence avec d’autres manières possibles de prononcer. L’accent naît parfois de facteurs historiques, comme c’est le cas de l’accent québécois en français qui vient en fait de la langue parisienne du XVIIIe siècle, conservée dans le temps du fait de son éloignement géographique de l’aire linguistique d’origine. L’accent peut également être dû aux contacts avec des langues voisines (comme le français en Alsace qui évolue aux côtés de l’allemand et de l’alsacien). Un accent individuel est une combinaison de tous ces facteurs : la région d’origine, la ou les langue(s) parlée(s) avec la famille, la connaissance d’autres langues, etc. Enfin, l’accent en langue apprise s’explique par l’influence de la première langue du locuteur.

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L’accent, un trait phonologique neutre ?

Ainsi présenté, l’accent semble être une caractéristique neutre de nos façons de parler. Cependant, comme l’introduction le suggère, et comme vous l’avez certainement déjà vécu dans la réalité, l’attitude des locuteurs envers différents accents est rarement neutre. Certains accents nous semblent beaux, d’autres agressifs. On s’amuse même à élaborer des classements d’accents « sexy ». L’accent acquiert ainsi une certaine valeur symbolique qui induit la catégorisation des groupes ou des individus. 

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Les accents et la réalité sociale

En effet, avec la complexité des rapports de force, des conflits, des dominances, les phénomènes sociaux ont tendance à être extrapolés sur des objets qui initialement ne sont pas censés porter les traces de ces tensions, comme la langue et donc les accents. Pourquoi un accent d’une certaine langue en français serait-il mieux vu que celui d’une autre ? Essentiellement parce que derrière la langue il y a l’histoire des relations entre les pays, des conflits ou des rapprochements. Ce n’est probablement pas un hasard si l’accent allemand est désagréable à l’oreille de beaucoup de Français, sachant que nos grands-parents et arrière-grands-parents l’ont majoritairement entendu dans la bouche de soldats ennemis…

Ce n’est pas qu’une affaire politique : si pour les anglophones l’accent français est associé à l’amour, à la séduction (alors qu’il n’y a rien dans la langue française qui se prêterait à la qualifier de « séductrice »), c’est peut-être en raison des représentations de la France véhiculées par le cinéma américain.

Pour résumer, étant impliqués dans des dynamiques de société, nous avons tendance à instaurer des liens symboliques entre des entités qui ne sont pas reliées de par leur nature : par exemple, parler une langue et avoir un certain trait de caractère ou un certain statut social.

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Vous auriez peut-être tendance à ne pas être d’accord, puisque la plupart des langues parlées et étudiées en Europe sont des langues codifiées (avec des grammaires, des dictionnaires, etc.), avec donc une variété dite « standard » fixe, y compris au niveau phonologique. Les locuteurs de cette variété sont ainsi considérés porteurs du soi-disant « non-accent »

Cependant, de désigner une façon de parler comme standard, et donc « neutre » et « la plus correcte », ne reflète pas des traits constitutifs de la langue mais plutôt une volonté politique, une situation historique suivies d’une naturalisation de cette décision dans l’esprit des locuteurs. Si l’on veut parler comme à Paris ou à Londres, l’on adopte un certain accent qui existe bel et bien. Et l’accent de Paris ou de Londres n’a aucune caractéristique intrinsèque qui le classe objectivement comme meilleur que celui de Toulouse ou de Liverpool, par exemple, excepté que ces villes ne sont pas des capitales dont le prestige aurait catapulté le parler au rang de « standard ».

La multiplicité de nos accents

Par ailleurs, on n’est jamais porteur d’un accent à vie. En fonction de la personne et de la situation, nous jouons avec les accents, souvent inconsciemment. Nous sommes également influençables et adoptons facilement l’accent d’un interlocuteur ou d’une région.

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Mais pourquoi, lorsqu’on apprend une langue, on ne prononce pas (du moins tout de suite) comme des natifs – qui arrivent parfois à identifier notre langue maternelle ?

Une sociolinguiste et auteure américaine, Rosina Lippi-Green (2012), propose à cet égard une métaphore qui explique bien le processus d’acquisition de la prononciation. L’on peut s’imaginer construire une maison (l’accent en langue maternelle). Petits, nous avons tous les matériaux à notre portée. On choisit les matériaux qui ressemblent à ceux qu’utilise notre entourage, on en imite d’autres, jusqu’à avoir une maison similaire aux maisons voisines. C’est comme ça qu’on arrive à s’intégrer dans notre communauté d’origine. 

L’on grandit, et l’on décide de construire une autre maison, à la façon de celles que l’on a vues ailleurs (donc d’apprendre une langue étrangère et la façon de prononcer « des natifs »). Cependant, les matériaux qu’on avait l’habitude d’utiliser ne conviennent plus vraiment… Mais on n’en a pas d’autres. On va passer plusieurs années avant de pouvoir imiter la construction de notre maison de prédilection.

Le mythe du non-accent : accentisme classisme racisme Rosina Lippi-Green

Et alors ? 

Cette métaphore nous suggère deux conclusions. Premièrement, le non-accent n’existe pas : nous construisons chacun notre prononciation en fonction de notre entourage et des catégories sociales (lorsqu’on refuse la prononciation de sa communauté en faveur d’une variété « prestigieuse »). Deuxièmement, notre façon de parler en langue étrangère est influencée par notre prononciation en langue maternelle qui nous fait exclure certains sons de notre « répertoire » phonologique. Il est donc extrêmement réducteur de catégoriser les locuteurs à partir de leur accent, tout comme il n’est pas du tout honteux d’avoir un accent, puisque tout le monde en a un (ou plusieurs !).

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